Luttant contre son appréhension du vide, Manfred avançait prudemment sur la toiture brûlante du temple. Le jeune homme n’était vêtu que de simples braies et d’une tunique en lin serrée à la taille par une ceinture de cuir à laquelle était pendu un petit couteau dans son étui. Ses longs cheveux bruns attachés par un simple ruban de tissu descendaient dans sa nuque. Il portait sur son dos un vieux sac en toile dont les bretelles, faites d’une simple ficelle, lui sciaient les épaules.
Sous ses pas, les tuiles chancelantes menaçaient à tout moment de se dérober et de l'entraîner dans une chute mortelle. Ses vieilles chaussures de cuir ne lui offraient que peu d’adhérence sur cette surface en dévers. La chaleur réverbérée par la toiture lui était difficilement supportable. Il transpirait autant à cause de la chaleur que de sa peur du vide.
Une vingtaine de mètres plus bas, la fête battait son plein dans les rues de Gladheim. En ce jour de solstice, on célébrait la vie, la fertilité et les récoltes à venir. Paysans, éleveurs et artisans de toutes les vallées environnantes se réunissaient tous les ans à cette période pour une semaine de festivités. Ils bravaient les chemins escarpés et franchissaient des cols parfois encore enneigés pour venir assister au festival.
Des échoppes fleurissaient dans toutes les rues de la ville où chacun venait proposer à la vente ses produits ou exposer son savoir-faire. Les nains, descendus en nombre de la cité-mine, étalaient les talents légendaires de leurs forgerons et de leurs brasseurs. Armes et pièces d’armure de bronze, de fer ou d’acier côtoyaient les tonneaux de leur célèbre bière des cavernes.
Aujourd’hui, point culminant des célébrations, se déroulait le défilé. Au rythme de la musique des troubadours, les jongleurs, les cracheurs de feu, les danseurs de drapeaux et autres saltimbanques déambulaient dans les rues sous les acclamations de la foule. Le cortège devait arpenter la ville durant toute l’après-midi pour terminer devant les portes de la ville où un immense bûcher serait embrasé. Le parcours était bien défini par les autorités religieuses tutélaires, selon les anciennes traditions.
Détournant son regard de ce spectacle, Manfred se concentra sur son objectif et poursuivit sa délicate progression. Arrivé à l’extrémité du pan de toiture, il surplombait maintenant une cour intérieure déserte. Comme on le lui avait indiqué, tous les prêtres et serviteurs du temple étaient en ce moment rassemblés à l’extérieur sur les marches du parvis pour offrir leur bénédiction aux festivaliers.
Il sortit alors une longue corde en chanvre de son sac et l’arrima comme il put autour d’une des gargouilles ornant le pignon intérieur. Il entreprit alors de se laisser glisser jusqu’au sol. Ses pieds cisaillant la corde pour que son poids repose sur ses jambes, ses mains n’enserraient la corde que pour l’équilibrer le long de la descente. Mais, peu rompu à cet exercice, ses prises étaient mal assurées. À quelques mètres du sol, ses pieds perdirent le contact avec la corde. Ses mains, moites par la transpiration, ne purent le retenir longtemps et il finit par glisser. La douleur de la brûlure dans ses paumes de mains le fit immédiatement lâcher la corde. S’écrasant lourdement au sol, il lui fallut quelques temps avant de reprendre ses esprits et de retrouver son souffle. Il ne s’était miraculeusement rien cassé mais son dos était maintenant douloureux.
Titubant, il se réfugia rapidement dans un coin d’ombre pour prendre le temps d’observer un instant. Il regarda ses mains qui lui faisaient horriblement mal. Des morceaux de peaux avaient été arrachés. Il comprit immédiatement qu’il ne serait pas capable de remonter par la corde.
Autour de lui, tout était redevenu calme, hormis les clameurs lointaines de la rue. Il étudia la petite cour intérieure au centre de laquelle se trouvait une statue de bronze. Celle-ci représentait un forgeron frappant son enclume. Dans sa main levée, un magnifique marteau était prêt à s’abattre sur la lame de l’épée qu’il façonnait. Détail inhabituel, une couronne ornait la tête de l’artisan. Conformément aux instructions reçues, Manfred repéra les quatre pierres précieuses qui ornaient la couronne ainsi que son marteau qui était amovible. Il s’approcha à pas feutrés, sortit son couteau et entreprit de dessertir la première pierre, une magnifique émeraude. Ses mains le faisaient souffrir et il lui était très difficile de manier sa lame.
Soudain le monde se mit à tourner autour de lui. Ses tympans se mirent à siffler. Abasourdi, il se retrouva projeté au sol. Le côté droit de son visage était totalement engourdi. Quelque chose venait de le heurter avec une violence extrême. Il sentit ses forces l’abandonner. Il sentit sa tunique s’imbiber du sang qui coulait abondamment le long de son cou. Une poigne ferme le saisit par les cheveux. Il fût ainsi traîné au sol tandis que ses sensations s’évanouissaient peu à peu. Il perdit connaissance…
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